Mines / écosystèmes

 

  Identification et impact des sites miniers abandonnés sur les écosystèmes aquatiques et terrestres actuels.

Introduction
Il est bien connu que l’extraction minière, les procédés de concentration et de transformation du minerai en métal contribuent à la libération des métaux naturellement présents dans les roches en les rendant plus facilement biodisponibles (Alloway, 1995). Le territoire du Parc Naturel Régional du Morvan recèle de nombreux sites miniers qui, bien qu’inexploités aujourd’hui, demeurent des sources potentielles d’éléments traces métalliques pour les environnements de surface (Tamas, 2004 ; Monna et al. 2004 ; Jouffroy et al. 2007).

Mine abandonnée – Site de la Ruchette

Plus de 70 sites miniers anciens ont été récemment mis en évidence sur le territoire de 10 communes périphériques de Bibracte – Haut Morvan (Gourault, 2009). Ils se positionnent dans l’emprise de zones très enrichies en métaux non-ferreux, dont les teneurs peuvent localement atteindre 20 fois la moyenne régionale. Par ailleurs, deux études récentes réalisées dans le Parc National des Cévennes ont montré que d’anciennes zones minières – même abandonnées – étaient fortement impliquées dans la dissémination et la rémanence des micropolluants métalliques. Il s’est avéré que les truites (Salmo trutta fario Linnaeus), bons bioindicateurs des écosystèmes aquatiques, ont subi un impact écologique lié à ces activités ; certaines remontant à plusieurs milliers d’années (Monna et al., sous presse). Compte tenu de ces acquis, nous développons aujourd’hui un projet de recherche qui vise à identifier les mines abandonnées et à évaluer leur impact sur les écosystèmes aquatiques et terrestres actuels dans le Morvan et les Cévennes. Signalons que ces zones protégées de moyenne montagne sont supposées a prioripeu polluées et, de ce fait, souffrent face aux zones urbaines ou industrielles, d’un important déficit d’études environnementales traitant spécifiquement de la contamination métallique. Déficit qu’il convient de combler aujourd’hui.

Caractérisation et cartographie des risques environnementaux

Le Morvan est un maillon de la chaîne hercynienne de l’Europe occidentale qui se situe à l’intersection de ceintures d’ampleur continentale enrichies en métaux (Routhier, 1980). Les gîtes minéraux y sont nombreux et à contenu varié, mais il s’agit principalement de gisements de faible ou de moyenne importance. Ces gîtes sont localisés aussi bien dans le vieux socle que sur les marges du massif où ont été reconnues des concentrations à fluorine-plomb-argent de typologie originale. D’un point de vue géochimique, le Morvan se singularise par d’importantes anomalies en plomb, zinc, argent, arsenic, cuivre, cadmium, tungstène et baryum au sein desquelles de nombreuses occurrences inédites restent à mettre en évidence ; ces éléments localement très concentrés ont pu être lessivés au cours du temps et entraînés dans les sols et les eaux (eaux de mine chargées en métaux, aires de traitement contaminées, diffusion des polluants par lessivage, ravinement, etc). Une première étude statistique, basée sur les résultats obtenus dans le territoire-pilote des 10 communes périphériques de Bibracte, suggère que le Morvan possède un potentiel en sites miniers anciens qui peut être estimé à un millier d’unités. L’identification de ces sites miniers et métallurgiques est donc indispensable, tout comme l’est celle des métaux qui y ont été exploités, si l’on veut circonscrire les aires de diffusion des polluants métalliques dans l’environnement. Le travail de caractérisation est entrepris dans les secteurs du Morvan qui présentent de fortes potentialités métallogéniques. Il s’agit de recherches sur le terrain qui nécessitent l’établissement préalable de cartes d’anomalies (gîtes minéraux, géochimie, prospection alluvionnaire). Ces recherches intègrent les sites métallurgiques liés aux mines avec une attention toute particulière portée au traitement des métaux non-ferreux, principaux générateurs de pollutions. Des levés et des études métallogéniques sont réalisés pour chaque site majeur. Un échantillonnage, systématiquement réalisé sur les zones découvertes, fait l’objet d’études minéralogiques dont l’objectif principal est d’identifier les métaux jadis exploités.

Il existe également une contribution naturelle qui provient de la percolation des eaux de ruissellement à travers les parties superficielles des gîtes minéraux ; elle est également à prendre en considération. Pour chaque substance polluante, des cartes de concentration des territoires les plus exposés sont établies. De là, une carte synthétique sera proposée aux acteurs et aux organismes concernés par la santé et l’environnement, en tant qu’outil d’aide à la décision. Les matériels et les méthodes sont résumés dans la Figure 1.

Figure 1 : Matériels et les méthodes utilisés pour caractériser et cartographier les risques environnementaux

Impact des sites miniers abandonnés sur les écosystèmes aquatiques et terrestres actuels.

Le deuxième volet du projet a pour objectif de préciser la part des éléments traces métalliques issus des sites miniers abandonnés et assimilables par les organismes vivants.Il s’articule suivant trois axes principaux:

  • Quantifier la biodisponibilité des métaux transférés (Pb, Cd, As, Tl, + oligo-éléments Cu, Zn…) depuis les sites miniers abandonnés vers les compartiments aquatiques et terrestres et leur influence sur le développement des individus.
  • Déterminer l’influence de l’âge des exploitations, de leur nature, et du substrat géologique sur les capacités de mobilisation des polluants à moyen et long terme.
  • Modéliser l’impact des sites miniers sur les écosystèmes aquatiques et terrestres, notamment dans le temps et dans l’espace.
Truite pêchée dans le Ramponenche

La biodisponibilité dans l’écosystème aquatique est évaluée comme dans l’étude préliminaire via Salmo trutta fario Linnaeus ; un poisson ubiquiste, abondant, relativement sédentaire, et qui est fréquemment utilisé comme biomoniteur (e.g. Olsvik et al., 2001). Il nous renseigne essentiellement sur les transferts liés au lessivage des sites miniers et des sols contaminés environnants.

Concernant l’écosystème terrestre, le mulot (Apodemus sp.) possède les mêmes qualités. Le transfert métallique s’effectue par contact et ingestion. Sa position à la base de la chaine trophique permet de s’affranchir des biais induits par les processus d’accumulation / élimination à chaque étage de prédation. Il nous renseigne sur la biodisponibilité de la contamination accumulée dans les sols par dépôt atmosphérique ou par stockage direct de déchets métallurgiques. La bonne connaissance de son domaine vital permet l’obtention de cartes de biodisponibilité autour des édifices miniers.

Les recherches préliminaires réalisées au printemps 2010 ont permis de sélectionner 3 zones contrastées dans le Morvan : (i) Chitry-les-Mines, mine de plomb argentifère médiévale exploitée jusqu’à la Renaissance; (ii) la Ruchette, près du Mont Beuvray, mine de fer antique réexploitée à la période Moderne, qui présente des ateliers métallurgiques en cours de datation radiocarbone, et un secteur aux alentours de (iii) Gien-sur-Cure, qui ne présente aucun site minier connu, et qui par conséquent pourra être utilisé comme site de référence. A titre indicatif notons que les concentrations en Pb dans ces sols atteignent ponctuellement 10 000 mg kg-1 à Chitry, 1000 mg kg-1 à La Ruchette et 10 mg kg-1 à Gien-sur-Cure ; la valeur 100 mg kg-1 correspondant au seuil à partir duquel un sol est considéré comme contaminé. Ces sites constituent les principales zones d’étude dans le Morvan.  La cartographie de ces sols et de leurs teneurs en métaux sur une surface couvrant 1 km2 est actuellement en cours dans le Morvan (100 points par site). Ces informations permettront de mettre en regard la contamination de la faune et les paramètres abiotiques caractérisant les sols et les sédiments. En outre des prélèvements spécifiques de sols ont déjà été effectués afin de réaliser des extractions cinétiques. Il s’agit d’une technique susceptible de caractériser plus finement la biodisponibilté que l’analyse totale (Labanowski et al. 2008). Les matériels et méthodes sont résumés dans la Figure 2.

Figure 2 : Matériels et méthodes utilisés pour évaluer l’impact des sites miniers abandonnés sur les écosystèmes aquatiques et terrestres actuels.

 

Les premiers éléments recueillis lors de l’étude menée dans le Parc national des Cévennes sont surprenants. Les teneurs en éléments traces retrouvées dans les foies et les chairs de 120 truites prélevées sur six sites démontrent l’impact des mines en déshérence (Pb, Cd), notamment pour les sites les plus récents (c’est-à-dire post-XVIIIe siècle). Les concentrations atteignent 100 mg kg-1 pour le Pb et 40 mg kg-1 pour le Cd dans les foies secs ; de tels niveaux sont rarement reportés dans la littérature. Sur l’un des sites, la concentration en Pb et/ou en Cd des chairs dépasse, pour la moitié des truites, les seuils de consommabilité fixés par l’UE. Dans ce contexte, l’instabilité de développement morphologique des truites a été déterminée par le biais des niveaux d’asymétrie fluctuante (Alibert et al., 2002). Des relations nettes sont apparues entre concentrations en métaux lourds dans les foies et les niveaux d’asymétrie fluctuante. Le stress environnemental est tel qu’il semble affecter ici la qualité du développement des individus. Les résultats dans le Morvan, aujourd’hui en cours d’acquisition, pourraient bien nous réserver quelques surprises.

Ce programme de recherche est co-financé par le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), le Conseil Régional de Bourgogne, l’Université de Bourgogne, le Parc national des Cévennes, l’Unité Mixte de Recherche 5594 ARTéHIS, le Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le Centre Archéologique Européen du Mont Beuvray. Il est soutenu activement par le Parc naturel régional du Morvan.

Bibliographie

  • Alibert, P., Bollache, D. Corberant, V. Guesdon, F. Cézilly (2002). J. Parasit. 88(1): 47-54.
  • Alloway, B. J., 1995, in B. J Alloway (ed.). Heavy Metals in Soils, Blackie Acad. & Professional, London, pp. 38-57.
  • Gourault, C. (2009). Les anciennes mines du Haut Morvan. Méthode d’inventaire, essai de caractérisation. Mémoire de master 2, Université de Bourgogne, 117 p. + annexes.
  • Jouffroy-Bapicot, I., Pulido, M., Galop, D., Monna, F., Ploquin, A., Baron, S., Petit, C., Lavoie, M., Beaulieu, J.-L., de, Richard, H. (2007) Environmental impact of early palaeometallurgy: pollen and geochemical analysis. Vegetation History and Archaeobotany. 251-258.
  • Labanowski, J., Monna, F., Bermond, A., Cambier, P., Fernandez, C., Lamy, I., van Oort, F. (2008) Kinetic extractions to assess mobilization of Zn, Pb, Cu, and Cd in a metal contaminated soil: EDTA vs citrate. Environmental Pollution, 152, 693-701.
  • Monna, F., Petit, C., Guillaumet, J.-P., Jouffroy-Bapicot, I., Blanchot, C., Dominik, J., Losno, R., Richard, H., Lévêque, J., Chateau, C. (2004). Env. Sci. Technol., 38, 3, 657-673.
  • Monna, F., Camizuli, E., Revelli, P., Biville, C., Thomas, C., Losno, R., Scheifler, R., Bruguier, O., Baron, S., Chateau, C., Ploquin, A., Alibert, P. Wild brown trout affected by historical mining in the Cévennes National Park, France. Environmental Science & Technology, sous presse.
  • Olsvik, P. A., Hindar, K., Zachariassen, K. E., Andersen, R. A., (2001). Biomark., 6, 274-288.
  • Routhier, P. (1980). Où sont les métaux pour l’avenir ? Mémoire BRGM, n° 105, Orléans, 410 p.
  • Tamas, C.-G., (2003-2004). C. R. Bourse postdoctorale, Région de Bourgogne, 2004, 86 p.

 

Composition de l’équipe

 

Alibert, P.1 ; Beis, P.2 ; Bermond, A.3 ; Bohard, B.2 ; Camizuli, E.; Delivet, G. 2 ; Gourault, C.2 ; Guillaumet, J.P.2; Hamm, G.2 ; Labanowki, J.4 ; Lachiche, C.2 ; Losno, R.5 ; Monna, F.2 ; Pereira, A.2 ; Petit, C.6 ; Revelli, P.7 ; Scheifler, R.8 ; van Oort, F.9

1 : UMR 5561, Biogeosciences, Université de Bourgogne – CNRS, Boulevard Gabriel, Bat. Gabriel, F-21000 Dijon, France

2: UMR 5594, ARTéHIS, Université de Bourgogne – CNRS-culture, Boulevard Gabriel, Bat. Gabriel, F-21000 Dijon, France

3 : AgroParis Tech., Laboratoire de Chimie Analytique, 16 rue C. Bernard, 75231 Paris Cedex 05, France

4 : UMR 6008, Laboratoire de chimie et microbiologie de l’eau, CNRS, Université de Poitiers, ENSIP, 1 rue M. Doré, F-86022 Poitiers cedex, France

5 : UMR 7583, LISA, Universités Paris 7-Paris 12 – CNRS, 61 av. du Gal de Gaulle F-94010 Créteil Cedex, France

6 : UMR  7041 ARSCAN “Archéologie et sciences de l’Antiquité”, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 3 rue Michelet, F-75006 Paris, France

7 : Cabinet vétérinaire, rue de la paix, F-63630, St Germain l’Herm, France

8 : UMR 6249, Laboratoire Chrono-Environnement, Université de Franche-Comté –  CNRS, 16 route de Gray F-25030 Besançon Cedex, France.

9 : I.N.R.A. UR 251-PESSAC, Physico-chimie et Ecotoxicologie des SolS d’Agrosystèmes Contaminés, RD 10, 78026 Versailles Cedex, France

Le programme scientifique est conduit par Fabrice Monna.

 

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